Alain Resnais par André Dussollier

 

André Dussolier et Alain Resnais, les Herbes folles

Lancé au cinéma par Une belle fille comme moi de François Truffaut en 1972, André Dussollier a joué notamment dans des films d’Yves Angelo, Jean Becker, Étienne Chatiliez, Costa-Gavras, Marguerite Duras, Jean-Pierre Jeunet, William Klein, Jacques Rivette, Éric Rohmer,Claude Sautet, Coline Serreau et Pascal Thomas, sans oublier sa métamorphose en Staline dans Une exécution ordinaire de Marc Dugain ou de nombreux téléfilms signés des plus grands noms. Continuant parallèlement une carrière théâtrale, il s’est aussi mis en scène dans des spectacles solo.

Sollicité dès 1973 par Alain Resnais pour un rôle dans Stavisky… alors qu’il était indisponible, André Dussollier a interprété La vie est un roman, L’Amour à mort et Mélo dans les années 1980, puis On connaît la chanson, Coeurs, Les Herbes folles et, depuis cet entretien, Aimer, boire et chanter.

À quelle étape du projet Resnais vous a-t‑il parlé d’On connaît la chanson ?
Le scénario d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri était écrit. Un après-midi, Alain m’a enfermé dans une pièce en me demandant de le lire et de lui donner mes réactions en sortant. Il m’a également confié un magnétophone et une cassette audio où la production avait repiqué tous les extraits de chansons prévus. Chaque fois que des paroles de chansons apparaissaient dans une scène, j’appuyais sur le bouton marche du magnétophone.

C’est la première fois que je lisais un scénario de cette façon. Aussi rare était l’idée, aussi rare était la manière de la communiquer au lecteur. J’ai adoré ce scénario et le dialogue inventif d’Agnès et Jean-Pierre. C’était une comédie bâtie sur les douleurs et le mal-être de chacun. Tout le monde pouvait s’identifier à ces personnages. Et les chansons me plongeaient déjà dans le film, quasiment. Je reconnaissais des chansons au fur et à mesure de la lecture, j’en découvrais d’autres, je m’interrogeais : quelles seraient les suivantes ? Je trouvais très excitante et très vraie l’idée de ces chansons qui affleurent à notre mémoire et font que nous n’avons plus besoin de parler.

Pour moi, le cinéma, ce n’est pas seulement le verbe. Et là le chant remplaçait de longs monologues ou de longs dialogues. Alain m’a demandé si je voulais apporter d’autres extraits : « Si jamais vous avez en tête des chansons auxquelles vous êtes attaché… » Je lui en ai proposé quelques-unes, mais il ne les a pas retenues. Il me fait penser à un brise-glace, qui avance à la même vitesse quel que soit l’obstacle qui se trouve devant lui.

Comment avez-vous conçu le personnage de Simon ?
Il est naïf et solitaire, comme un vieil étudiant, un adolescent attardé. Il est perdu dans ses rêves, plein d’idéal. Cette dualité entre le réel et l’imaginaire se traduit dans ses deux métiers : agent immobilier et auteur de pièces pour la radio. Il est dans une situation bancale, ni dans l’un ni dans l’autre.
C’est un amoureux qui n’arrive pas à se faire aimer dans un premier temps. On l’imagine seul dans sa chambre, écrivant en rêvant à Camille (le personnage qu’interprétait Agnès), et travaillant par obligation, en gardant tout de même son humour, sa liberté. Il n’est jamais agressif, sa seule façon de combattre est de manier l’humour. Je voulais qu’il ne soit pas ridicule, mais touchant. C’est un personnage plus composé que ceux que j’avais joués précédemment dans La vie est un roman, L’Amour à mort et Mélo, l’écart, la distance étaient plus grands entre Simon et moi. J’avais aussi quinze ans de plus que lui. Il y avait un trajet à faire entre moi et ce personnage.

J’ai trouvé malgré tout de petites correspondances, des aspects dont j’étais familier. Je n’avais jamais rencontré Agnès et Jean-Pierre, et c’est comme s’ils avaient deviné des choses de moi en écrivant ce rôle. J’ai toujours aimé la radio. J’ai interprété beaucoup de dramatiques sur les ondes dans ma jeunesse, j’ai connu à la radio des auteurs confirmés, et aussi un bon nombre d’apprentis auteurs auxquels elle offrait un tremplin. C’était un vrai espace de création, arpenté par des auteurs qui avaient une très belle écriture. Et puis l’amoureux transi, le rêveur. Je ne m’identifiais pas totalement à Simon, mais je me sentais de petites affinités avec lui. Il m’amusait.

Resnais vous a communiqué la biographie de deux pages qu’avait livrée Agnès Jaoui.
Quand il nous donne la biographie d’un personnage, même s’il ne l’a pas écrite lui-même, c’est comme s’il nous expliquait pourquoi il nous a choisis. Il nous dit en substance : ce personnage a tel passé et, ne me dites pas le contraire, vous pourriez aussi avoir ce passé. Pour je ne sais plus quel film, il m’avait donné la biographie des grands-parents de mon personnage. Là, pour rédiger ces deux pages, je crois qu’Agnès est partie aussi de l’image qu’elle avait de moi. Simon était né à Clermont-Ferrand (ce n’est pas si loin d’Annecy), avait passé son adolescence dans la région avant de monter à Paris où il s’était marié et avait eu très vite des enfants. Il était séparé de sa femme depuis dix ans. Agnès avait précisé la profession des parents : un libraire et une secrétaire à mi-temps qui avait espéré faire carrière dans l’art lyrique et dont Simon avait peut-être hérité les aspirations artistiques.

Beaucoup d’éléments me plaisaient bien. La biographie, c’est un point de ralliement entre les auteurs, le comédien et le metteur en scène.
Avec Agnès et Jean-Pierre, c’était une vraie rencontre également en tant qu’acteurs. J’aime beaucoup travailler avec des partenaires que je ne connais pas. Cela apporte une fraîcheur. À nous d’être nouveaux l’un pour l’autre ! Je ne connaissais pas non plus Lambert Wilson, ni Isabelle Carré pour Coeurs, ni Anne Consigny pour Les Herbes folles. Lambert était chaleureux, jouer avec lui était très facile, mais j’ai voulu le laisser tranquille pour ne pas interférer avec sa découverte du plateau d’Alain, en me réservant pour le film suivant. Hélas, Alain ne nous a plus donné de vraie scène ensemble.

    Extrait de :

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Alain Resnais, les coulisses de la création
Entretiens avec ses proches collaborateurs
François Thomas
Collection : hors collection, Armand Colin
2016 – 528 pages – 160×240 mm
Voir la fiche détaillée du livre



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