Émergence des émeutes urbaines : les incidences pour le photographe

Un manifestant lance un pneu en feu contre la police depuis une barricade à Kiev (Ukraine) Bulent Kilic – 21/02/2014

Un manifestant lance un pneu en feu contre la police depuis une barricade à Kiev (Ukraine) Bulent Kilic – 21/02/2014

 

« La présence de groupes armés divers, de milices de tous ordres, dans des conflits se déroulant souvent dans des zones urbaines, a modifié la situation des reporters », explique Emmanuel Sérot, chargé de la rédaction en chef de l’AFP de la sécurité des journalistes.

Avec ce qui s’est passé depuis quelques années en Grèce, place Tahrir au Caire, place Taksim à Instanbul, au Brésil avant la coupe du monde de football, et dans d’autres villes du Moyen-Orient et d’Asie, on voir bien que la frontière entre émeutes et guerres est de plus en plus ténue.

Les affrontements meurtriers qui ont eu lieu en février 2014 sur la place de l’indépendance, le « Maïdan », à Kiev, le confirment. Les manifestations contre le pouvoir du président Viktor Ianoukovitch ont dégénéré en combats de rue. Une centaine de personnes est morte le 20 février 2014, journée la plus meurtrière de la contestation qui a précipité la chute du président ukrainien. La guerre s’est ensuite intensifiée à l’est du pays.

Manifestant juché sur une statue surplombant des barricades à Kiev (Ukraine) Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

Manifestant juché sur une statue surplombant des barricades à Kiev (Ukraine) Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

 

 

Manifestants montant à l’assaut de la police sous un déluge de feu et de gaz lacrymogènes à Kiev (Ukraine) Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

Manifestants montant à l’assaut de la police sous un déluge de feu et de gaz lacrymogènes à Kiev (Ukraine)
Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

Le feu et les ruines après les affrontements sur la place Maïdan à Kiev (Ukraine) Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

Le feu et les ruines après les affrontements sur la place Maïdan à Kiev (Ukraine)
Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

Les photos de combattants fauchés par la mort diffusées dans le monde

Les reporters, en première ligne au Maïdan, ont réalisé d’impressionnantes photos du champ de bataille, sur un fond de ciel noirci par les incendies ou nimbé de chutes de neige : manifestants casqués, réfugiés derrière des barricades, lançant des engins explosifs d’un côté, forces de sécurité en tenue de combat et tireurs embusqués tirant à balles réelles de l’autre.

Le monde a découvert le carnage d’une guerre civile en Ukraine. Les photos de centaines de blessés évacués vers des centres soins improvisés, celles de combattants fauchés par la mort ont été diffusées dans le monde, révélant l’une des plus grandes tragédies au cœur de l’Europe depuis les guerres dans l’ex-Yougoslavie et en Tchétchénie.

Croix dans la neige devant un barrage de policiers lors de manifestations à Kiev (Ukraine) Aris Messinis – 30/01/2014

Croix dans la neige devant un barrage de policiers lors de manifestations à Kiev (Ukraine)
Aris Messinis – 30/01/2014

Le photographe turc Bulent Kilic, du bureau de l’AFP à Ankara, témoigne :

« Je tombe sur trois types qui sont en feu, là devant moi. Je ne sais pas comment ils ont commencé à brûler… les flammes sont vite maîtrisées. J’ai l’impression que les manifestants sont habitués à ce genre de situation, personne n’a l’air réellement paniqué. »

Bulent Kilic, auteur de photos saisissantes, est au cœur des combats. Autour de lui, les manifestants continuent de construire des barricades.

« Je suis coincé avec eux, réfugié derrière l’hôtel Ukraine, qui est reconverti en hôpital de campagne pour les manifestants blessés. Impossible de bouger, trop dangereux. Des tireurs embusqués tirent sur la place. On entend siffler les balles… Ici à Kiev j’ai l’impression qu’on est à mi-chemin entre une guerre et une manif. »

« Les manifestations urbaines prennent de plus en plus une tournure de guerre violente, souligne Philippe Massonnet, directeur de l’information de l’AFP. Le danger physique est plus grand dans cette proximité que sur une ligne de front. Le périmètre est plus restreint, mais plus exposé. Les journalistes se retrouvent à quelques mètres de leurs assassins potentiels. »

Des manifestants lancent un assaut sur la place Maïdan à Kiev (Ukraine) Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

Des manifestants lancent un assaut sur la place Maïdan à Kiev (Ukraine)
Louisa Gouliamaki – 20/02/2014

Les journalistes formés pour supporter arrestation, enlèvement ou simulacre d’exécution

Face à l’accroissement des risques, l’AFP a mis en oeuvre un programme de prévention et de prise en charge de ses journalistes. Différents stages sont proposés : une préparation plus physique de parcours du combattant avec l’armée près de Collioure (Pyrénées orientales) ; une immersion dans un stage anti-émeutes avec les gendarmes du GIGN à Saint-Astier (Dordogne), des modules plus spécialisés pour les reporters travaillant en Amérique latine, exposés aux risques d’enlèvement au Mexique ou à la guérilla en Colombie.

Les participants à ces stages sont confrontés à des situations générant un important stress, avec une forte connotation psychologique : comment supporter une arrestation, un enlèvement, un simulacre d’exécution.

Un danger récurrent est apparu pour les journalistes, l’enlèvement. Pratiqué en Somalie, en Libye, il s’est amplifié en Syrie avec la multiplication de groupes armés. « Il n’y a jamais eu autant de journalistes tués ou enlevés que depuis le début de la guerre civile en Syrie. Il y a un véritable business de l’enlèvement », note Philippe Massonnet.

Ces nouveaux risques obligent à « infuser une culture de la sécurité dans nos rédactions, à adapter les comportements de protection », précise-t-il. Les consignes de prudence ont été renforcées, enjoignant d’utiliser les mêmes fixeurs, les mêmes chauffeurs, d’avoir toujours un référent pour le contact. Un système de traçage des déplacements a été mis au point : « Un envoyé spécial doit avoir la possibilité d’être ‘tracké’ et de pouvoir déclencher lui-même une alerte en cas de problème. »

Fred Dufour s’est retrouvé au fin fond du Mali à appliquer ces exercices :

« Ce que j’ai retenu du stage, c’est la gestion du stress, l’analyse du terrain, les réflexes et bonnes attitudes à avoir dans les zones de conflits. »

L’imagination peut être le pire ennemi.

« Se faire un film dans sa tête peut créer un sentiment de panique pouvant mettre en péril la mission. Et cela peut fausser notre façon de photographier, de voir et ressentir les choses. »

De retour de mission, un débriefing permet de profiter de l’expérience et d’adapter les couvertures futures. En coordination avec le service de psychiatrie de l’hôpital militaire du Val de Grâce, a été ouvert un « espace de parole ».

Rédacteurs et photographes ont la possibilité d’un consulter de manière confidentielle. « Le débriefing suppose un briefing préalable et un encadrement permanent pendant la mission avec un référent », recommande le professeur Humbert Boisseaux, médecin chef du service de psychiatrie. C’est dans la continuité qu’est traité le sujet.

 

Extrait de
Photos de guerre. L’AFP au coeur des conflits
Auteur : Yves Gacon
Collection : Hors collection
Format : Brochée avec rabats – 144 pages
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