Métier réalisateur : entretien avec Olivier Assayas (2/3)

Olivier Assayas - entretien - 2e partie

Second volet de l’entretien accordé par Olivier Assayas pour le livre Métier : Réalisateur, Quand les maîtres du cinéma se racontent paru aux éditions DUNOD. Moteur… Action !

« Toujours travailler avec la même équipe »

Le fait de travailler avec un grand réalisateur français comme André Téchiné, pour qui j’ai écrit Rendez-vous (1985) et Le lieu du crime (1986), m’a fait comprendre comment écrire pour les acteurs. Une fois que vous pensez les scènes en termes de sensations et d’émotions exprimées par la voix propre des acteurs, vous avez franchi une étape capitale.

Lorsque j’écris, le seul élément sur lequel je m’appuie, c’est la structure. Je commence à écrire lorsque je sens une logique dans la succession des événements, quand il y a un squelette sur lequel je peux construire. Il me faut être sûr de la logique dramatique propre à l’histoire. Je peux alors broder, mais je sais toujours d’où je viens et où je vais. C’est une construction séquentielle d’implications et de conséquences.

J’écris très précisément, et de la même manière j’anticipe très minutieusement mes plans. J’utilise les plans au sol des décors et je marque les mouvements de la caméra et les positions respectives des acteurs. J’ai besoin de cette préparation avant d’aller sur le tournage le matin.

« Lorsque j’entends les dialogues exactement comme je les ai écrits, j’ai peur qu’ils n’aient pas été appropriés. »

Tout ce dont j’ai besoin avec les acteurs, c’est de sentir qu’ils ont assimilé les dialogues et les ont transformés. Lorsque j’entends les dialogues exactement comme je les ai écrits, j’ai peur qu’ils n’aient pas été appropriés. Dans ce cas, souvent, je change une ligne sur le tournage : l’acteur n’a pas le temps de l’apprendre mot à mot mais il en absorbe la substance. Je change constamment le dialogue pour que les acteurs ne soient pas bloqués par les répétitions. Et j’attends toujours d’eux des idées personnelles. Édgar Ramírez est un acteur très créatif, comme Maggie Cheung. Je pense qu’on n’a donné à aucun d’entre eux cette liberté, ni à Édgar à Hollywood ou au Venezuela, ni à Maggie à Hong Kong. Alors quand on leur en donne la possibilité, ils en profitent vraiment.

J’ai toujours travaillé avec la même équipe depuis mes débuts. Le décorateur de Carlos est le même qui avait travaillé sur mon premier long métrage. L’un des deux directeurs de la photographie de Carlos, Denis Lenoir, était aussi sur Désordre. Même chose pour le monteur, Luc Barnier. Je travaille avec ma productrice, Sylvie Barthet, depuis 1994. Il y a là une grande constance.

« Très peu de directeurs de la photographie peuvent comprendre la manière dont je tourne, c’est-à-dire entre l’extrême précision et l’improvisation. »

Ces collaborations me sont très utiles car j’ai toujours le sentiment que mes films ont un trop petit budget. Il s’agit de toujours montrer davantage à l’écran que les moyens ne le permettent, et il faut donc en permanence trouver des solutions créatives. Si vous travaillez avec des gens habitués à vos méthodes et qui possèdent un esprit bricoleur, ils finissent par faire partie de votre méthode de travail. Je n’ai travaillé qu’avec trois directeurs de la photographie, Denis Lenoir, Éric Gauthier et Yorick Le Saux, et lorsqu’ils n’étaient pas disponibles, je me trouvais coincé. Très peu de directeurs de la photographie peuvent comprendre la manière dont je tourne, c’est-à-dire entre l’extrême précision et l’improvisation. J’aime aussi travailler très rapidement. C’est un travail sur la corde raide qui fonctionne pour mes films du fait de l’expérience commune.

Chaque chef opérateur apporte quelque chose de différent. Yorick est très accommodant, décontracté, rapide et il s’adapte facilement. Je sais donc que je peux essayer des trucs bizarres, même s’il est tard ou qu’il fait trop sombre. Tout est possible. Denis est aussi comme ça, mais un peu moins. Il demande parfois cinq minutes pour placer les éclairages afin d’équilibrer l’image. Éric sait me tempérer. Il va me dire qu’il vaut mieux ne pas tourner un plan maintenant et qu’il est préférable d’attendre le lendemain pour qu’il y ait du soleil. Il a fait des miracles sur L’heure d’été, car sur l’ensemble du tournage, nous avons dû avoir douze heures de soleil éparpillées sur la durée. Grâce à lui, on a réussi à avoir toute la lumière naturelle dont on avait besoin. Sans lui, je n’aurais jamais eu la patience nécessaire.

Zoom sur DEMONLOVER

Demonlover suit divers individus et entreprises désirant prendre le contrôle du marché de la pornographie animée en 3D. Lorsque Diane (Connie Nielsen), une cadre, découvre que l’une des compagnies sert de couverture à un site interactif de torture en ligne, elle se trouve prise dans un tourbillon d’intrigues et de doubles jeux qui la transforment elle-même en victime du site de torture. Le film se passe à Tokyo, à Paris, aux États-Unis et au Mexique. L’incarcération finale de Diane a lieu dans un ranch mexicain. Les dessins du ranch par Olivier Assayas représentent l’aire d’atterrissage de l’hélicoptère et la chambre dans laquelle elle est enfermée et d’où elle s’échappe.

Le ranch de DEMONLOVER

« Un thriller repose sur un contrat bizarre signé avec le public : on lui donne le frisson qu’il réclame, et en échange on est libre d’expérimenter la forme et la syntaxe. C’est bien sûr un exercice dans lequel Hitchcock était passé maître. Il a inventé ce concept. Ce qui est intéressant avec le film de genre, c’est qu’il faut en permanence le redéfinir. Les thrillers sont caractérisés par des forces visibles et invisibles, conscientes et inconscientes, et on peut jouer avec des forces encore plus sombres. Pour moi, c’est le genre de film qui me permet d’explorer des questions qui ne peuvent être abordées dans des films plus classiques. Dans Demonlover, par exemple, il s’agissait de traiter de forces contemporaines radicales à l’intérieur d’une société moderne. »

▲ Extrait de DEMONLOVER avec Connie Nielsen et Charles Berling


 

Extrait de Métier : Réalisateur Quand les maîtres du cinéma se racontent Mike Goodridge Collection: Hors collection, Dunod 2014 – 192 pages – 236×255 mm

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