Métier réalisateur : entretien avec Olivier Assayas (1/3)

Olivier Assayas - entretien - 1ère partie

Olivier Assayas, fils du scénariste et réalisateur Jacques Rémy, a réalisé des courts métrages et écrit pour les Cahiers du cinéma avant de passer au long métrage en 1986 avec Désordre, un drame psychologique. S’ensuit alors un ensemble de films au caractère unique : L’enfant de l’hiver (1989), Paris s’éveille (1991), Une nouvelle vie (1993) et en particulier L’eau froide (1994), interprété par Virginie Ledoyen, qui est sélectionné au Festival de Cannes dans la catégorie Un certain regard.

Olivier Assayas commence à poser un regard extérieur sur la France avec Irma Vep (1996), un jeu référentiel sur le feuilleton muet de Louis Feuillade Les vampires (Irma Vep est l’anagramme du mot « vampire »). Ce film, associé au documentaire HH : portrait de Hou Hsiao-Hsien (1998), témoigne de sa passion pour le cinéma asiatique.

Il revient en France pour réaliser ses deux films suivants : Fin août, début septembre (1998) et une somptueuse reconstitution, Les destinées sentimentales (2000). Il retourne à l’étranger en 2002 pour tourner son premier long métrage en anglais, Demonlover, un thriller technologique avec Connie Nielsen et Chloë Sevigny. Sa carrière oscille alors entre la France et l’étranger. Clean (2004), un drame réalisé entre Paris et le Canada, vaut à Maggie Cheung le Prix de la meilleure actrice à Cannes pour son interprétation d’une droguée tentant de refaire sa vie.

Le thriller Boarding Gate (2007) avec Asia Argento se passe à Paris et Hong Kong. Les meilleures critiques reçues à ce jour lui sont venues pour L’heure d’été (2008). Et soudain, opérant un nouveau virage, il sort son film peut-être le plus abouti en 2010, Carlos, une oeuvre épique et captivante de 330 minutes, sur l’ascension et la chute du terroriste Carlos le chacal (extraordinairement incarné par Édgar Ramírez) qui sévit en Europe dans les années 1970. L’histoire, racontée en plusieurs langues (et déclinée en une minisérie TV diffusée dans le monde entier) a été le coup de foudre du Festival de Cannes 2010. Le film remporte un Golden Globe pour la meilleure minisérie de l’année, et a été largement acclamé par les critiques.

Le film suivant, Après mai (2012), fidèle à la manière de faire d’Olivier Assayas, se place à l’opposé, contant le drame semi-autobiographique d’un adolescent parisien au début des années 1970

Entretien : Olivier Assayas

Je ne suis pas un critique de cinéma passé à la réalisation, j’ai toujours voulu faire des films. J’ai commencé par des courts métrages, mais ils ne me satisfaisaient pas et je sentais que je n’étais pas prêt pour passer au long. Écrire pour Les Cahiers du cinéma m’a permis de structurer mon approche du cinéma, de trouver ma place dans son histoire et de comprendre ce que je pourrais faire en tant que réalisateur.

Les Cahiers étaient pour moi une école du cinéma international ; j’avais la possibilité d’aller dans les festivals pour assister à la projection de films du monde entier, des films que je n’aurais pas pu voir en France. Je suis allé en Asie, aux États-Unis. J’ai appris la géopolitique du cinéma, et c’est cet internationalisme qui définit mon approche du média.

Le cinéma français est très insulaire. Si vous êtes réalisateur indépendant en France, rien ne vous oblige à vous intéresser au monde extérieur, et pour moi, c’est très frustrant. Mon premier film, Désordre, se passe à Paris, Brighton, Londres et New York ; il y avait donc une idée de voyage, et lorsque je suis revenu au système du cinéma français indépendant, qui me convenait à l’époque, j’ai senti ma perception du monde rétrécir. Le côté français limitait les outils que je pouvais avoir à disposition pour décrire le monde moderne. À commencer par la langue, évidemment, et comme je savais que l’anglais était appelé à devenir la langue internationale, il fallait que j’en fasse mon alliée. Au fur et à mesure, j’ai perdu ma réserve à parler des langues étrangères, jusqu’à tourner Carlos où les personnages parlent toutes les langues du monde.

Pour tourner un premier long métrage, il faut avoir la maturité nécessaire de comprendre qu’un film n’a rien à voir avec les trucages ou le spectaculaire mais avec la connaissance des acteurs, et je savais que j’avais en premier lieu à obtenir le meilleur d’eux. C’est à cause du jeu d’acteur déplorable que je ne peux plus voir les courts métrages que j’ai réalisés. La caméra est bonne et les films sont sympas. Si vous coupez le son, ils semblent intéressants, mais si vous écoutez le jeu d’acteur, ça fait penser à un môme de 7 ans essayant de jouer du violon.

Quand on est jeune et que l’on veut devenir réalisateur, on n’a aucune expérience du travail avec les acteurs. Pour ceux qui interviennent dans le théâtre, c’est différent : c’est leur boulot quotidien et ils savent si un jeu est naïf ou maladroit. Je n’avais aucune idée de la manière dont travailler avec mes acteurs ; pour mes courts métrages, je n’écrivais même pas leur partie. Il a fallu que je trouve ma méthode afin d’obtenir d’eux un jeu authentique, que j’ai à peu près eu pour Désordre et essayé de développer ensuite.

 

Conseils aux jeunes réalisateurs

Regardez ce qui se passe autour de vous lorsque vous tournez. Personne ne vous dit cela mais c’est réellement important. Ne vous focalisez pas uniquement sur votre scénario et sur ce qui est utile à votre histoire. Regardez le monde que vous êtes en train de créer tout autour de vous et vous vous rendrez compte qu’il peut être plus intéressant que prévu.


 

Extrait de Métier : Réalisateur
Quand les maîtres du cinéma se racontent
Mike Goodridge
Collection: Hors collection, Dunod
2014 – 192 pages – 236×255 mm

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