Shantaram, film fantôme

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Shantaram

Lors d’une joyeuse session de chat sur Internet avec les lecteurs du magazine Empire, organisée pour promouvoir Les chemins de la liberté (2010), Peter Weir est piqué au vif par la question innocente d’un fan : « Êtes-vous toujours sur le projet Shantaram » ? Réponse de Weir, aussi sèche que vague : « Non ». Quatre ans après l’abandon du projet, pour le réalisateur du Truman Show (1998), Shantaram semble s’être envolé. Ayons une pensée pour Johnny Depp dont les espoirs ont été anéantis non pas une, mais deux fois.

 

Johnny Depp

▲ JOHNNY DEPP
« [Johnny] a une âme pleine d’humilité et
une curiosité énorme pour le monde qui
l’entoure », confie la réalisatrice Mira Nair
à rediff.com en 2007. « Il adore prendre
des risques… Quand on travaille avec lui,
on n’a jamais l’impression d’avoir affaire à
une star. »

 

Un pavé poétique et allégorique

À sa publication en 2003, le roman de Gregory David Roberts fait sensation. « Un phénomène ! » annonce le Sunday Times. « Un chef-d’oeuvre ! » s’exclame le Telegraph. « Énorme ! » ajoute le Daily Mail. Une fois n’est pas coutume, le Mail n’exagère pas : avec ses 936 pages en corps 6, Shantaram est à la fois une lecture captivante et une épreuve physique. L’adapter à l’écran ressemble un peu à ces records où l’on entasse le plus de monde possible dans une cabine téléphonique. Pourtant, le volume est loin d’être le plus gros problème.

La Warner acquiert les droits de Shantaram en 2004 pour 2 millions de dollars afin d’appâter Johnny Depp (dont la cote est au plus haut après Pirates des Caraïbes, la malédiction du Black Pearl en 2003) et sa maison de production Infinitum Nihil. Il faut dire que Depp est obnubilé autant par le roman que par le romancier. « Roberts a écrit ce magnifique pavé poétique, allégorique, de 1 000 pages dont la lecture m’a retourné la tête », confie-t-il au Herald Sun australien. C’est aussi l’écrivain baroudeur qui charme Depp. Invité par celui-ci aux Bahamas pour six semaines, Roberts et son célèbre fan rédigent la première version du scénario de Shantaram: The Movie.

Librement inspiré de l’histoire personnelle de Roberts, le film promet d’être une saga sans précédent, une émouvante quête de rédemption, d’un continent et d’un genre à l’autre. L’histoire commence en Australie, pays d’origine du héros, Lin. Héroïnomane et braqueur invétéré, Lin finit dans la prison de Pentridge, dans l’État de Victoria. Après une audacieuse évasion qui fait de lui l’homme le plus recherché d’Australie, Lin atterrit en Inde. Sans aucune expérience médicale, il y devient médecin et renoue avec sa conscience morale en luttant contre le choléra et les incendies dans les taudis de Bombay. Mais il est vite entraîné par la pègre dans une épopée criminelle, tout en essayant de gagner l’affection de Karla, une mystérieuse Suisse-Américaine. Au menu de cette incroyable odyssée (et ce n’est qu’un échantillon) : contrebande, démêlés avec la pègre, tentative d’assassinat, figurations héroïques pour Bollywood, passage brutal par la prison de Bombay, contrefaçon de passeports et trafic d’armes. Vous suivez ? Sans parler de la sous-sous-intrigue du tueur en série… On a donc (inspirez profondément) un film d’aventure romantique, un carnet de voyage, un film de guerre, sur la prison, les gangsters et l’amitié, un hommage à Bollywood, un thriller plein de coups de feu, un drame social… Impossible d’énumérer tous les genres mobilisés. Depp et la Warner veulent restituer l’ambiance brûlante, bruyante et flamboyante de Bombay telle que la décrit Roberts, une sorte de Plage (2000) transposé en Inde.

Tout lecteur de Shantaram pensera que Depp ressemble autant au musclé et vigoureux Lin qu’un parapluie à une machine à coudre. (Russell Crowe a d’ailleurs exprimé son intérêt pour le projet.) Il est en revanche aisé d’imaginer Depp incarnant l’esprit rebelle de Lin. Pour Depp, ce rôle est l’occasion de jouer un anti-héros revenu de toutes les escroqueries et de toutes les addictions, mais aussi de s’attaquer à l’épais accent australien. Tout comme Meryl Streep, il s’est en effet pris d’affection pour les accents exotiques.

 

« Roberts a écrit ce magnifique pavé dont la lecture m’a retourné la tête. »
Johnny Depp

 

De même, Peter Weir semble être le réalisateur idéal : un cinéaste australien à l’extraordinaire talent de conteur, capable d’immerger les spectateurs dans n’importe quel univers et dans n’importe quel genre. Avec Shantaram, on espère un retour à ses créations épiques d’antan, dont Gallipoli (1981) et L’année de tous les dangers (1982). Le réalisateur fait des repérages à Darjeeling et Depp se plonge dans la culture indienne. Pendant ce temps, Eric Roth (oscarisé pour son adaptation de Forrest Gump en 1994) est engagé pour créer un script viable.

Mais en juin 2006, neuf mois après le début de son contrat, la Warner confie à Variety que Weir n’est plus sur le projet, prétextant les habituels « différends créatifs ». « C’est vraiment dommage pour Peter », déplore le producteur Graham King, pas vraiment attristé. « Il avait une vision différente du film qui ne collait pas à la mienne, ni à celle de Johnny. » On voit clairement qui mène la danse. La Warner détient les droits mais Shantaram appartient à Depp ; c’est son projet fétiche, en tant qu’acteur, producteur et disciple. Le tournage est reporté au printemps 2007.

 

Les déconvenues de Peter Weir

▲ LES DÉCONVENUES DE PETER WEIR
Entre Master and Commander (2003) et
Les chemins de la liberté (2010), d’autres
projets d’adaptation de romans ont échappé
à Peter Weir : The War Magician de David
Fischer, où un illusionniste « cache » le
canal de Suez aux bombardiers pendant
la guerre ; Identification des schémas
(ci-dessus) de William Gibson, qui suit un
psychologue s’efforçant de décrypter de
mystérieuses vidéos ; Shadow Divers de
Robert Kurson, sur la présence mystérieuse
d’une épave de sous-marin allemand au
large du New Jersey.

 
La Warner trouve une remplaçante de choix en janvier 2007 : Mira Nair. Réalisatrice de Mississippi Masala (1991), Le mariage des moussons (2001) et de l’adaptation du roman de Thackeray Vanity Fair, la foire aux vanités (2004), Nair semble être le lien idéal entre Asie et Occident. « Il est temps qu’Hollywood réussisse à filmer l’Inde » confie-t-elle sur Glamsham.com. « L’authenticité est cruciale pour Shantaram. C’est le territoire de mon film Salaam Bombay ! et le décor est le Bombay des années 1980 où j’ai vécu. »

 

Kitsch flamboyant

Nair engage l’une des stars de Bollywood, Amitabh Bachchan, pour jouer Kader Bhai, parrain de la mafia de Bombay et mentor de Lin. « Je n’ai qu’à fermer les yeux pour les voir ensemble », dit-elle. Bachchan est prêt à se raser la tête pour le rôle. Elle promet aussi l’apparition spectaculaire de Depp dans un numéro de danse bollywoodien au kitsch flamboyant. L’énorme tournage de cinq mois, étalé sur trois continents, doit débuter en novembre 2007. « Ce sera un banquet exceptionnel » livre-t-elle à CNBC. Mais on attend toujours le plat principal.

Au moment où les caméras s’apprêtent à tourner, la fameuse grève des scénaristes s’annonce. Un écueil qui, selon Variety, s’ajoute à des « préoccupations liées aux coûts et à la perspective de tourner en Inde à l’approche de la mousson ». La production commence à ressembler au scénario lui-même. Depp, lors d’une interview à la télé indienne, semble dans le déni. « On est en pause », soupire-t-il. « Le travail d’Eric Roth et Mira Nair est
époustouflant, presque parfait, mais avec cette grève à l’horizon il faut s’assurer de ne pas mettre la charrue avant les boeufs. » Mais l’attelage de Shantaram fait du surplace. Le projet est mis au placard et avec lui une vision extraordinaire de l’Inde qui aurait éclipsé celle de Slumdog Millionaire (2008).

 

Gregory David Roberts
CAUSE TOUJOURS
Fin 2011, l’auteur Gregory David Roberts
(ci-dessus) écrit : « La version filmée de
Shantaram, entre les mains de Johnny
Depp, Graham King et Warner Brothers,
est toujours en bonne voie. Ils attendent
que je finisse ce nouveau roman… pour
que je puisse me concentrer sur le film de
Shantaram et sur d’autres projets. »

 

Sortira -t-il un jour ?

En mars 2011, le Times of India rapporte que l’équipe de Shantaram doit (à nouveau) visiter l’Inde pour faire les repérages d’un tournage en juin. La « source » déclare que Depp et Bachchan ont tourné pendant dix-huit jours en 2009 au studio ND, que des décors ont été construits et des figurants engagés. Cependant, comme « tout le monde a signé une clause de confidentialité, évidemment rien n’a filtré ». Évidemment…

 

Et après ?

Johnny Depp revient à sa zone de confort avec Tim Burton en 2012 dans Dark Shadows :

Après avoir surmonté la déception de ne pas « réunir Johnny Depp et Amitabh Bachchan dans le même film », Mira Nair tourne un drame sur une prise d’otage à Wall Street : The Reluctant Fundamentalist (2012). Weir met à profit ses repérages de 2010 pour son épopée Les chemins de la liberté. En 2011, Gregory David Roberts travaille laborieusement à la suite de Shantaram, Mountain Shadow, dans laquelle Lin part à la rescousse d’un vieux copain et croise un nouveau personnage, Navida Der, un détective indo-irlandais. Ceux qui ont des réserves d’oxygène retiendront leur souffle.

 

Extrait de :



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